Une voie de pèlerinage

COMPOSTELLE, une voie de pèlerinage tout d’abord… devenue une voie initiatique

Marcher jusqu’au bout de l’Espagne pour tomber sur le souvenir d’une figure de la Palestine d’il y a 2 000 ans, quelle drôle d’aventure !
Jacques est, selon les Evangiles, l’un des premiers apôtres du Christ et la tradition voit en lui un des évangélisateurs de cette partie de la Méditerrannée. Revenu en Palestine, il est arrêté et exécuté dans les années quarante après J.-C. La tradition raconte que son corps fut déposé sur une barque qui accosta à Padron, en Galice. Ce n’est que huit siècles plus tard, le 25 juillet 813, qu’une étoile serait venue indiquer à Pelayo, un ermite local, l’existence d’une sépulture de ce saint évoqué dans les Evangiles. Le pèlerinage vers cet apôtre, surnommé dans la Bible de « majeur », va naître peu après.

Si elle porte le poids des siècles, l’aventure des chemins de Compostelle est aussi celle d’une redécouverte assez récente. Car, après des générations de pèlerins, pénitents et autres croyants en quête de rédemption, le « champ de l’Etoile » fait signe désormais à des marcheurs venus du monde entier et pour une grande diversité de raisons.

Tenter l’aventure hors hormes, prendre le risque de changer de rythme, retrouver une forme de précarité libératrice, et réorienter le sens de sa vie sur des chemins ouverts par tant de prédécesseurs.
Sans oublier de retrouver le goût du silence, de la rencontre simple, des gestes qui font du bien… et des leçons de la nature, altière et belle.
Les chemins de Compostelle ont redonné une âme à ce continent pressé de modernité et d’efficacité.

PAROLES EN CHEMIN

André WEILL : « Regarder plus loin que l’horizon »
Marcher de village en village pourrait apparaître routinier. Et d’une certaine façon, c’est vrai. Sur le chemin, la routine est une vertu évidente qu’on apprend à connaître et à aimer. Sans y prendre garde, la routine déplace les montagnes. Le chemin m’a appris que l’Esprit donnait toujours en temps voulu ce qui était nécessaire et non pas ce que mes peurs avaient demandées. C’est vraiment bête à dire, mais sur le chemin j’ai appris que le chemin continue toujours plus loin que l’horizon. Les journées de pluie m’ont appris la force de l’intériorité, l’efficacité du « ne rien faire », la puissance de l’attente patiente. Par-dessus tout la lumière du chemin m’a appris à dire merci.

Anne ROBBES : « Se relier au vivant »
Comment poursuivre sa vie lorsque nos piliers viennent de s’effondrer. Lorsque mon couple a volé en éclats, je suis partie sur le chemin de Compostelle. La beauté de la nature, les rencontres impromptues m’ont arrachée à mes malheurs. Depuis, j’ai marché sur de nombreux autres chemins. Ils me relient au vivant.

Ji Dahai : « Le pinceau et l’encens »
Dans mon sac à dos, j’avais mis le strict minimum pour laisser place à mes carnets de notes et de croquis et aux quatre trésors du mandarin : le pinceau, l’encrier, le papier en écorce de santal soigneusement découpé au format des soutras et le bâtonnet d’encre de Chine. A Moissac, j’ai aimé peindre le prophète Jérémie sur le trumeau de l’abbatiale Saint-Pierre. Je l’ai appelé, comme l’un des dix-huit disciples de Bouddha, « le moine aux longues jambes ».

Prophète Jérémie

Mahdi ALIOUI : « La joie et la fierté »
Je déprime à longueur d’année et je bous de colère contre moi-même. Colère d’avoir une vie si minable, sans aucun sens. Depuis quelques jours ma petite voix me répète « Va à Compostelle »… A ce moment là, je ne sais pas dans quoi je m’embarque. J’ignore que je vais découvrir un autre monde. Et un autre Mahdi. 65 jours plus tard, j’arrive à Compostelle. Fixant une statue de Saint-Jacques sur la façade de la vieille cathédrale que j’aime d’emblée, je me repasse le film de ces derniers mois. Je ne peux contenir mes larmes. J’ai réussi ! Je suis fier d’avoir tenu le coup, et cela fait si longtemps que je n’ai pas été fier de moi !

Céline ANAYA GAUTIER : « Cheminer pour transmettre »
Mes chers Santiago et Leandro, il se peut que dans un futur lointain, quand vous serez grands sur les routes de vos propres vies et aventures, vous vous posiez les questions : Pourquoi ? Pourquoi Maman nous a-t-elle proposé ce passage de petit homme ? J’avais une urgence : je voulais que vous sachiez très rapidement vous débrouiller seuls, que vous soyez indépendants dans vos têtes, que vos esprits soient libres et que vous ayez une grande confiance en la vie. Au contact du chemin et de ses pèlerins, immergés dans la nature et au rythme de vos pas, je vous ai vus comprendre que le sacré n’est pas seulement histoire de religion, mais qu’il est présent dans chaque petite chose et chaque être qui nous entoure. Emerveillement.

Yvon BOELLE : « Parcours d’un photographe sur le chemin de l’étoile »
Je revis ces instants magiques où j’ai découvert les monts d’Aubrac, au sortir de la Margeride et du Gévaudan. Je ressens intensément ce vertige vertical qui nous submerge devant un paysage sans fin, sans repères. Je remonte les marches usées par les sandales des milliers de pèlerins qui m’ont précédé à la chapelle haute de la petite église de Bessuéjouls. J’y revois ces chapiteaux fantastiques illustrés de femmes poissons : autant d’énigmes pour poursuivre la route ! Je redessine sans fin les contours lumineux du merveilleux cloître de Moissac. A Conques, je processionne derrière la guitare de frère Jean Daniel, la statue de Sainte Foy éclairée par les torches des fidèles.

Alix de SAINT-ANDRE : « Merci, quatre fois merci ! »
En arrivant à Roncevaux, la première étape espagnole, tout le monde m’avait doublée. Le corps tout cassé, grinçant… restait l’esprit. Dans la liste des choses à emporter, mon guide rudimentaire signalait un chapelet. Je n’en avais jamais dit de ma vie : c’était le moment ou jamais. Seule la Sainte Vierge pourrait me tirer d’affaire. Sans blague. Dès le lendemain, Dieu merci, elle m’envoya Raquel dont la rondeur allègre indiquait la même absence d’entraînement sportif. Nous marchions ensemble vers Santiago dans un univers égalitaire et fraternel. « J’ai embrassé l’aube d’été » : j’avais étudiante, commenté ce vers de Rimbaud, j’étais soudain précipitée dedans. Nous allions de lever de soleil en lever de soleil jusqu’à un final coucher de soleil.

Botufumeiro

Cet encensoir en laiton argenté (1,6 m et 72 kgs) était utilisé au Moyen Age, dit la légende, pour purifier l’air de la cathédrale. L’encensement s’effectue lors des grandes fêtes et durant l’année sainte alors qu’on entone l’hymne à Saint Jacques.

Hors série Le Pèlerin – Extraits